Chapitre 17

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La chaleur d’Olympus était étouffante à cette profondeur, plus lourde que dans les galeries de la surface, comme si la roche elle-même retenait son souffle. Michaël marchait en silence, entouré d’archanges qui ne parlaient plus. Même Raphaël, pourtant si loquace parfois, gardait les lèvres scellées. La fête, la foule, la lumière, tout cela semblait appartenir à une autre vie. Ici, dans l’ombre des fondations, el sentait que quelque chose de grave, d’immense, s’apprêtait à se jouer.

Camaël ouvrait la marche. Derrière el, Brenna, Sparda, et quelques autres silhouettes rayonnantes que Michael ne connaissait pas encore mais dont el sentait le poids. Des souverains, des créateurs de royaumes. Satanachia fermait la marche, sa tunique rouge traînant sur les pierres noires. Son visage était impassible, mais une intensité indéchiffrable brillait dans ses yeux.

La chapelle s’ouvrit sans porte, comme une blessure creusée dans le flanc du volcan. L’intérieur était d’une beauté sidérante. Des vitraux multicolores tapissaient les parois, chacun représentant l’un des sept primordieux : le Grand Architecte, le Porteur de Lumière, l’Eveil’artisan, le Chanteur Merveille, l’Ordre des Astres, le Psychopompe et l’Oracle-entre-les-Etoiles. Chaque vitrail semblait murmurer dans une langue ancienne, oubliée de tous, sauf des archanges.

Au centre, un autel d’obsidienne. Michaël s’avança, mais son regard se tourna vers les absents.

— Et Léoniel ? Et Asmodée ? Je veux qu’els soient là, murmura-t-el, tendu.

Camaël, haut comme une montagne, le regarda simplement.

— Non.

Un mot. Un refus qui claqua comme un décret immémorial. Michaël ne comprenait pas. Tout son être vibrait d’alerte. Le silence, trop dense. L’air, trop sacré. Alors Satanachia s’avança.

♂ — Michaël Fitzarch, dit-el d’une voix plus douce que jamais, ce que tu vas apprendre ici ne peut être partagé. Pas même avec les êtres qui te sont les plus chers. Car à partir d’aujourd’hui… tu n’es plus seulement un être de lumière, ni même un roi. Tu deviens l’un des dépositaires des Noms véritables des Primordieux.

Michaël se figea.

— Les noms véritables ? répéta-t-el, le souffle court.

♂ — Ceux que le peupl’aile ne peut pas connaître. Car els sont chargé de pouvoir, de sens, de vérité, poursuivit Satanachia. Sept noms. Sept clefs. Sept chants. Ce sont des ponts entre ton âme et l’origine du monde.

— Pourquoi ?

— Parce que tu es devenu un archange, dit Camaël. Et parce qu’un jour, peut-être… tu en auras besoin.

Michaël se tourna vers Raphaël. El y vit la même gravité, mais aussi une étincelle de fierté.

— Ce savoir est un grand pouvoir, dit Brenna doucement. Prononcer ces noms, c’est invoquer l’essence même des architectes de la Création.

Alors Michaël, la gorge nouée, s’avança vers l’autel. Sparda s’avança aussi, lentement, dans la pénombre bleutée de la chapelle. Le silence se fit total, comme si même les vitraux retenaient leur lumière. Michaël, immobile, le fixa droit dans les yeux. Mais Sparda, l’immense Sparda, buriné par mille guerres, inclina la tête.

— Michaël, dit-el d’une voix grave et rauque, mais étrangement douce, je suis né de la lignée du premier-né des primordieux : l’Ordre-des-Astres. Et aujourd’hui, c’est à moi que revient l’honneur de t’enseigner le nom de mon aïeul. Le nom que les étoiles chantaient autrefois, mais que peu encore se souviennent de porter.

El s’approcha de l’autel, et posa sa paume énorme contre la pierre. Le contact fit jaillir un éclat bleu ciel, pur, presque aqueux.

— Écoute, Michaël Fitzarch. Reçois en ton cœur le nom ancien. Le nom de la Miséricorde première. Le nom de celui qui ordonna les sphères, traça les lois, et sculpta les premiers vents. Le père des puissances. Le maître des astres. Le sculpteur d’univers.

Sparda leva les yeux, et sa voix s’enfla comme une incantation primordiale.

♃ — Matariel.

Le nom se grava dans la pierre, dans la lumière, dans l’air même. Une onde d’énergie parcourut la pièce. Michaël sentit une chaleur douce envahir ses membres. Son souffle se fit plus ample, plus profond. Son halo pulsa d’une lueur bleu céleste, brillante et calme comme un océan d’été. El sentit sa force grandir. El sentit ses muscles, son esprit, son souffle... s'aligner. Mais plus encore, el sentit une empathie foudroyante. Une capacité à sentir les douleurs muettes, les failles invisibles. El voyait déjà les souffrances passées de Camaël, le poids que Brenna portait dans sa poitrine, l’amour étouffé de Raphaël. El comprenait. El ressentait. Et el voulait… protéger. Sparda, en retrait, murmura avec un rictus tendre :

— Voilà ce que fait Matariel à ceux qu’el touche. El n’embrase pas. El embrasse.

Un autre archange s’avança. El était plus petit, que Sparda (qui ne l’était pas ?) mais large d’épaules, vêtu d’une robe argentée constellée de runes mathématiques. Son halo brillait d’un éclat blanc bleu sombre, typique des chérubins. Michaël reconnut immédiatement l’archange-chérubinique chargé des systèmes de Madim.

L’archange s’inclina profondément devant Michaël, mais lorsqu’el releva la tête, ses yeux étaient fuyants.

— Michaël Fitzarch, dit-el d’une voix limpide, mais tremblante, je suis censé t’enseigner le second nom. Celui du deuxième-né, père des chérubins, dont le rôle était de juger et éliminer les astres. Celui qui…

El s’interrompit, luttant contre quelque chose. Un frisson le parcourut. Un silence pesant envahit la chapelle. Même les vitraux semblèrent cesser de luire.

— Je ne le peux pas, finit par dire l’archange, en baissant les yeux. Je vous demande pardon. Ce nom ne m’est pas permis. Pas à moi. Pas à personne ici.

Et el recula, lentement, regagnant sa place dans l’ombre. Michaël resta interdit. Une crispation passa sur son visage.

— Mais… pourquoi ? demanda-t-el à mi-voix, les mains moites.

C’est alors que Satanachia s’avança. Sa robe rouge claqua dans le silence. Son halo flamboya d’un éclat écarlate, presque noir à ses bords.

♂ — Le nom du Psychopompe ne peut être révélé., dit Satanachia en regardant Michaël droit dans les yeux.

Un murmure mental, presque inaudible, parcourut le réseau EL.

♂ — Ce nom… doit rester scellé.

— Mais pourquoi ? osa demander Michaël, la gorge serrée.

Satanachia inclina doucement la tête. Un sourire triste étira ses lèvres.

♂ — C’est le nom de la Mort, la Fin. Un jour, tu comprendras.

Et rien de plus.

À cet instant, Michaël sentit une douleur lui transpercer les tempes. Un feu dans sa poitrine. Phosphoros s’agita. Sa voix intérieure, d’habitude calme et tranchante, était cette fois déchirée, colérique, étranglée.

— Non… pas lui… pas lui…

Une larme échappa à Michaël sans qu’el ne sache si c’était la sienne ou celle de Phosphoros.

Puis, un être immense s’avança, coupant l’instant insensé. El ne marchait pas, el roulait. Une arche mouvante composée d’anneaux entrelacés, de veines dorées palpitantes, et de myriades d’yeux étoilés, certains ouverts, d'autres fermés, d'autres encore changeant de forme à chaque battement du Réseau EL. En son centre brûlait un halo doré, comme un soleil emprisonné.

Michaël, d’un réflexe presque enfantin, s’inclina légèrement. El n’avait pas l’habitude de voir un archange ophana, et encore moins le chef des ophanim de Guebourah, entité sacrée rarement convoquée hors des affaires de surveillance.

— Je suis l’œil qui surveille l’ordre et le chaos. Une porte parmi les tumultes des cieux. Une voix de l’Éveil'artisan, dit l’être d’une voix polyphonique, faite de mille chuchotements qui résonnaient à la fois en dedans et au-dehors.

La salle tout entière se rétracta autour de sa parole.

— Nous, ophanim, ne descendons pas directement de l’Eveil’artisan. Nous n’avons pas été enfantés, mais façonnés, créés pour remplacer les trônes, disparus dans le hurlement de la Seconde Brisure. Les trônes étaient les fils véritables de l’Éveil'artisan. Mais nous… nous avons reçu un fragment de sa graine. Un écho. Un éclat d’artisanat divin, suffisant pour scruter et sculpter la trame des choses.

Michaël fronça les sourcils. Les trônes, ce chœur légendaire. Disparu, oui… sans que personne ne comprenne comment ni pourquoi…

— L’Éveil'artisan fut le troisième-né des primordieux. El s’incarna non pas pour régner, mais pour réparer. Quand le tissu de la Création était déchiré par le tumulte primordial, le recousait. El a restauré les espaces-temps, les trames du Tout.

Le halo du géant ophanim brûla plus fort.

— Son nom véritable est…

Le Réseau EL vibra.

☉ — Remph.

Dès que ce nom fut prononcé, Michaël chancela. Ses yeux roulèrent vers le plafond, et soudain, la salle disparut. Non. Elle était toujours là. Mais elle était… autre. Devant el, l’univers s’ouvrit comme un textile déroulé, une toile gravitationnelle qui reliait tout et tout le monde. Les causes et les effets, les attractions, et le chaos indéfinissable lorsque les corps orbitaient trop près les uns des autres. La complexité, la fragilité, se révéla. Dans le tissu, de toutes petites déchirures apparaissaient et disparaissaient, recousues par l’archange-ophana. La Création se délitait en permanence, les démons prêts à surgir de l’Ayin.

— C’est ça… le tissu du réel… murmura Michaël.

Et el comprit alors que ce tissu… pouvait se plier. Se recomposer. El avait à présent un œil dans l’éternité.

Dans la lumière chatoyante des vitraux, alors que les noms primordiaux avaient déjà éveillé dans Michaël des dons et des visions bouleversantes, une autre voix s’éleva, et ce n’était pas celle d’un archange désigné.

C’était Satanachia.

El se tenait droit, vêtu de ses habits flamboyants faits de nébuleuses tissées, sa chevelure rouge comme le Gueb, ses yeux azur comme l’Astarté. El n’avança pas vers Michaël. Non. El parla depuis l’autel, au centre de la chapelle, comme s’el y était depuis toujours, et pour toujours.

♂ — Je suis l’Oracle-Entre-les-Étoiles. Père des dominations. Élu pour lire entre les constellations, deviner les trajectoires, prévenir les cataclysmes.

Le silence se fit plus dense que jamais.

Satanachia ne disait pas "el". El disait "je".

♂ — Je suis né pour prévoir. Pour guider les architectes et les guerriers dans l’écheveau du futur. J’ai vu la Première Brisure. J’ai senti le souffle naissant de la Seconde. Et depuis, je veille. Je lis entre les étoiles, là où les autres ne regardent jamais.

Michaël sentit un frisson courir le long de son dos. Phosphoros avait raison, Eistibus était bien là. Mais personne ne réagit. Ni Brenna. Ni Raphaël. Ni Sparda. Pas même Camaël. Tous écoutaient, solennels. Comme si ce mystère n'était pas nouveau. Comme si els avaient appris, un jour, à ne pas poser la question.

♂ — Je suis le Quatrième-Né. Et mon nom véritable est…

Le réseau EL se contracta une seconde. Comme une étoile qui se forme.

♂ — Eistibus.

Alors Michaël vit.

Un œil s’ouvrit. Pas sur son front. En dedans. Dans un recoin de son esprit où le futur semblait bouillonner. Il y avait là une lucidité foudroyante, non pas sur ce qui arriverait, mais sur ce qui pouvait arriver. El tourna la tête vers Raphaël. Et el vit : la volonté sincère de réparer ses fautes, l’immense culpabilité, la volonté de transmission : une trajectoire. Vers Brenna : une loyauté farouche, une énergie de protection fraternelle, la résolution de mourir pour sauver : une autre trajectoire. Vers Sparda : un plan. Un projet précis. Une guerre à mener, une stratégie à déployer : une destinée. Vers Camael : de l’ambition. Non pas une vanité, mais une volonté de maintenir la stabilité. De maintenir l’ordre même si la vérité devait être voilée. Tous ces astres avaient leurs trajectoires, leurs orbites, influencées par tout le reste.

Vers Satanachia… rien.

Un voile. Un puits sans fond. Une étoile morte. Michaël essaya encore. Mais l’Oracle el-même échappait à toute lecture.

Et au-delà, Michaël vit les constellations des destins. Les chemins entremêlés, les arcs d’événements possibles, les croisements de passions et de tragédies. El vit son propre avenir se ramifier comme les branches d’un arbre incandescent.

Phosphoros ne disait rien. Mais Michaël sentait. Ce pouvoir… cette conscience… ce regard dans les possibles… C’était un don terrible. Et en même temps, un outil nécessaire.

Puis un nouvel archange s’avança, auréolé d’une clarté chatoyante. Sa tenue était extravagante : drapée de longues étoffes aux couleurs changeantes, brodées de poèmes anciens, son halo tournoyait en spirales musicales. El était le Ministre de la Culture de Guebourah, une principauté renommée à travers tout le royaume pour sa voix, sa gestuelle, sa faculté à émouvoir et galvaniser. D’une voix vibrante, presque chantée, el déclama :

— Je suis celui qui vous parle au nom du Cinquième-Né, le plus gracieux des primordieux. Celui qui liait les cœurs par les chants, les esprits par les récits, et les volontés par la vérité émotive. Le Chanteur Merveille. Le père de notre chœur, les principautés. Sans el, les primordieux n’auraient jamais su collaborer, car la parole fut le premier pont, et l’émotion, la première loi.

Michaël sentit un frisson doux remonter sa colonne. Le nom approchait. Il vibrait déjà en el.

— Son nom véritable est… Israfel.

Une onde lumineuse se déploya, non comme un choc, mais comme une mélodie tendre et infinie. Michaël sentit alors le besoin de danser. De chanter. Pas pour se montrer, mais pour exprimer. Une émotion trop vaste pour le silence. Trop grande pour les mots. Son corps, encore immobile, vibrait de l’intérieur. El voulait dire tant de choses. Partager ce qu’el ressentait. Pas pour convaincre. Mais pour se relier.

El pensa à Raphaël. Aux regards fuyants, aux déceptions non verbalisées. El pensa à Brenna, si protecteur, si tendre, à qui el n’avait jamais dit merci. El sentit le nœud de ces silences passés… se défaire un peu. Puis Sparda. Bourru, loyal, rude. El l’avait toujours vu comme un mur, et pourtant, ce mur l’avait soutenu dans le destin qu’el avait choisi. Encore un mot non-dit. Puis Satanachia. L’Oracle des étoiles, si calculateur. Un gouffre de secrets. Et Michaël sentit en el un désir violent de confronter, d’exiger un échange réel, une vérité partagée. El s’éleva alors légèrement, sans le vouloir. Son halo scintilla, imprégné de couleurs irisées.

— Je ressens… tant de choses, murmura-t-el. Joie, crainte, gratitude, rancune. Mais plus que tout… le besoin de parler. De vous parler. Car ce monde, nous ne le tiendrons pas seuls. Je ne veux plus laisser les silences creuser des fossés. Je veux bâtir sur la vérité de nos émotions. Et si Israfel m’en fait don, alors je vous le dis : j’ai besoin de vous. De chacun de vous.

Un silence solennel suivit. Puis un chant. Doux. Simple. Né d’une principauté. Puis d’une autre. Bientôt, tout l’autel vibra d’un murmure harmonieux.

Michaël ferma les yeux. Pour la première fois depuis longtemps… el se sentit en paix.

Dans le silence qui suivit son propre discours, Michaël vit s’avancer une silhouette familière : Brenna. Grand, altier, parée d’une armure fluide comme de l’argent vivant, elle irradiait une sérénité fraternelle. Son halo mauve portait des reflets nacrés, et lorsqu’elle parla, sa voix fut calme, nette, porteuse de respect et d’émotion contenue.

— Je suis Brenna, vertu de Tiphéreth, fils du Sixième-Né, celui que vous appelez tous le Grand Architecte.

Un frisson parcourut Michaël. Ses mains tremblèrent légèrement. Brenna marqua une pause, regardant Michaël un instant avant de poursuivre :

— Avant la Première Brisure, el n’était pas roi de la Création. El était l’un des sept, le Sixième-Né, venu non pour régner, mais pour construire. C’est el qui a dessiné les plans des Cieux. Qui a posé les fondations de notre monde, de ses flux, de ses cycles, de ses harmonies. El ne se mêlait pas toujours aux autres, car son esprit était vaste comme un océan. El planifiait ce que les autres rêvaient. Son nom véritable est...

Brenna leva la tête. Tous les vitraux se figèrent. Une tension invisible s’installa.

☾ — Sarakiel.

À ce nom, un tremblement discret secoua les fondations de la chapelle. Michaël sentit son esprit s’élargir comme une mer, comme un plan d’architecte. Net. Précis. Des lignes. Des idées. Des structures entières. El ne voyait plus seulement des émotions ou des visions, el voyait comment organiser. Comment donner forme. Un feu froid, différent du feu sacré, s’alluma en el. Une volonté d’édification. De régner non par la force, ni par le charme, mais par la cohérence du monde à construire. El vit alors les Labyrinthes de la Nuit : leurs bastions, leurs réseaux logistiques, leurs flux de ressources. El vit comment mieux les articuler, comment les rendre autonomes, puissants, beaux même. El vit plus loin encore : un royaume nouveau, structuré selon une logique céleste.

— El est ton père, murmura Brenna à son attention. Et maintenant, tu portes aussi son nom. ☾ Sarakiel. vit en toi, Michaël. Tu n’as pas hérité d’un trône, mais d’un dessein.

Michaël sentit une larme chaude rouler sur sa joue. Non de douleur. Mais d’un sentiment nouveau, vaste, puissant : l’ambition sacrée. El ne voulait pas seulement protéger. El voulait construire. Dans le silence chargé d’émotions laissées par Brenna, Michaël se redressa, lentement. Mais cette fois, ce ne fut pas seulement el qui se manifesta. Ce fut quelqu’un d’autre en el, plus vaste, plus ancien, plus incandescent.

Le halo de Michaël vacilla… puis devint orange brûlé, parcouru d’éclairs dorés et rouges. Des ailes de lumière s’ouvrirent dans son dos, majestueuses, irréelles. Et lorsqu’el parla, ce ne fut pas Michaël, mais Phosphoros. Sa voix était double, claire comme une cloche d’airain, grave comme une faille en feu. Elle vibra dans tous les vitraux, dans toutes les consciences.

— Je suis le dernier-né des Sept. Je suis celui que vous avez aimé plus que tout. Je suis Phosphoros, le Porteur de Lumière. Ma flamme n’est pas née dans la Couronne d’Adam Kadmon, mais dans l’ombre de l’Abysse. J’ai surgi du néant pour embraser les cieux, lors de la Première Brisure, quand tous tremblaient et que la défaite approchait.

Dans la chapelle, les halos s’affaissaient, touchés par la gravité de cette présence. Phosphoros tendit la main. Des flammes dansaient à ses paumes, pures, blanches, incandescentes.

— Je suis le père des séraphins. Le père aussi de Sandalphon, par qui sont venues les vertus. Je suis celui qui n’a pas fui. Je suis celui qui brûle encore.

Et alors, dans un murmure qui fit trembler la pierre, dans un souffle qui creva le silence, el prononça :

— Mon nom véritable est... Lucifer. Phosphoros n’est qu’une part de moi. Ma part guerrière. Ma part sacrée. Mes deux autres visages reposent ailleurs, dissimulés dans la Création.

Les vitraux se mirent à vibrer, et la lumière orange envahit la nef comme un lever d’étoile. Michaël chancela. Son souffle se coupa. Ses cœurs battirent trop vite. El s’effondra. Sparda bondit, prêt à le soutenir, mais un mur de lumière l’arrêta. Ce n’était pas un malaise physique. C’était un effondrement existentiel.

Lucifer

Du sol, une flamme jaillit, traversant le corps de Michaël comme une onde vivante. Le Feu Sacré de Lucifer se répandit en lui, le ranima, l’exalta.

— Relève-toi, souffla la voix intérieure.

Michaël ouvrit les yeux. Deux cercles de feu orange. Son corps entier vibrait. Il brûlait. Mais était-ce une flamme qui nourrissait ? Ou une flamme qui consumait ? La chapelle était devenue un sanctuaire incandescent. Tous les halos s’étaient recroquevillés sous le poids de la révélation. Phosphoros, non, Lucifer, se tenait debout au centre du chœur, auréolé de braises, son visage partagé entre une ferveur sacrée et une fureur millénaire. Les vitraux vibrèrent. Le silence pesait comme un gouffre.

Alors, dans un dernier souffle, sa voix traversa tous les réseaux. Toutes les âmes. Tous les siècles.

— Je purifierai la Création par le feu. Pas seulement les démons, pas seulement les hérésies…

S’il le faut...

Je brûlerai tout.

Je raserai jusqu’aux fondations

Pour reconstruire un ordre nouveau.

Un monde digne de moi.

Digne de toi, Michaël.

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