Sparda fendit les cieux en silence, ses ailes cabossées déployées malgré la douleur. À ses côtés, Satanachia descendait à tire d’aile, son halo rouge massif comme une torche dans la nuit. Tous deux atterrirent dans les décombres calcinés du vaisseau antique, au milieu des déflagrations figées et du cristal brisé.
Le silence régnait.
Sparda chancela, un genou à terre, mais el se releva sans attendre. Peu lui importait la souffrance. Son regard se tourna vers le centre du carnage, là où gisait Michaël.
Son halo était éteint.
El ne respirait plus.
Satanachia s’approcha, grave, le visage figé dans une solennité muette. El s’agenouilla lentement et posa une main sur la poitrine de Michaël. Aucune pulsation. Aucun chant intérieur. Rien. Le jeune archange était mort.
Non loin, le corps d’Asmodée reposait lui aussi, inerte. Satanachia l’observa quelques secondes sans mot dire. Sparda, el, baissa les yeux vers Michaël et serra les poings. Sa voix se fit rauque, presque inaudible :
— Pardon, Michaël. Je n’ai pas su te protéger.
Pendant ce temps, Michaël ouvrait les yeux dans un monde sans contour. El se tenait au pied de l’Arbre Ein Sof, l’arbre de la Création. Son tronc infini s’élevait au-delà des cieux, tissé de lumière pure, et ses racines baignaient dans les eaux primordiales. Au pied de l’arbre, EL, la Source Universelle, palpitait d’une paix insoutenable. De cette Source naissaient d’innombrables branches, chacune portant la flamme frêle d’une âme mortelle.
Et clouée au tronc de l’arbre, suspendue dans une posture de crucifixion, une immense azoha veillait. Elle avait de longs cheveux roux, flottant comme des algues sacrées dans l’air lumineux. Michaël crut reconnaître Marilka. El avança, le cœur battant, mais non… ce n’était pas elle.
Juste en dessous, une forge battait, et les coups résonnaient comme un cœur ancien. Un être immense, flamboyant, courbé sur l’enclume, façonnait une nouvelle azoha à la main nue. Michaël resta figée. El reconnut la puissance dans ses gestes, l’intention dans son regard. El reconnut son essence. Alors, une autre voix surgit dans son dos.
☿ — Tu dois le rattraper. El… et son azoha.
Mais le forgeron releva soudain la tête, les yeux plantés droit dans ceux de Michaël. El avait compris. El se redressa, attrapa l’azoha inachevée et, d’un battement d’ailes, s’éloigna dans les hauteurs. El s’envola. Fuyant.
Les larmes de Michaël jaillirent sans contrôle. Elles coulèrent, brûlantes, immenses, et l’engloutirent. Son chagrin devint un océan. El sombra dans l’Abysse.
Là, parmi les ténèbres liquides, el vit surgir Ophélia, sa mère, Marilka, son épouse, et tant d’autres visages aimés, azohim en détresse, leurs yeux emplis de réminiscences et de reproches. Michaël hurla. El paniqua. Leurs mains l’agrippaient, l’enlaçaient, l’étouffaient. El leva les yeux, suffocant, vers la surface, et vit une silhouette enflammée. Un être fait de lumière et de cendres, qui tendait la main vers el. Michaël saisit cette main. El remonta. Phosphoros se tenait là, attendant patiemment. Michaël émergea de l’Abysse, haletant, son halo fissuré.
— Allez, vas-y, avant qu’il ne soit trop tard, haleta le Fitzarch, priant Phosphoros d’enfin s’emparer pleinement de son corps.
☿ — Tu veux vraiment mourir ?
— Je suis trop faible… pour lutter…
Mais Phosphoros leva la main.
☿ — J’ai un autre plan. Le forgeron que tu as vu, c’est Samaël, mon autre moitié…
— Quoi ?
☿ — C’est un autre fragment du Porteur de Lumière. Faut que je me réunisse avec el.
— Tu m’en parles que maintenant ?!
☿ — J’ai une proposition à te faire. L’amour ou la mort.
— Hein ?
Phosphoros enlaça l’âme de Michaël.
☿ — Soit je te laisse partir, mourir. Soit nous formons un pacte, toi et moi. Devenons frères à jamais, retrouvons le forgeron, et grâce à el, reconstruisons la Création ensemble.
Michaël resta un instant pantois.
— Pourquoi… Je suis faible… Si faible.
☿ — Reprends-toi Fitzarch ! Ensemble nous pouvons accomplir tant de choses !
La vertu hésita. El observa le visage incandescent de Phosphoros.
— Pour quoi faire. Une Création en perdition…
☿ — Nous rebâtirons des partzufim ! Nous régnerons sur la Création et accomplirons le Grand Dessein ! Satanachia te voulait mort. Ton Père te voulait mort, pour me ramener moi. Mais moi, je ne suis rien sans toi ! Brise ton conditionnement ! Revient à la vie !
— Tu peux le faire sans moi.
☿ — Ce n’est pas ce que Léoniel aurait voulu, dit alors Phosphoros. Et Marilka. Qui d’autre que toi pour la secourir ?
— Ok ! Ok ! C’est bon j’ai compris ! s’agaça Michaël.
Dans un éclat de lumière, Michaël se dépouilla de sa matière. Son âme nue, vulnérable, frémissante, se laissa porter. Alors, Phosphoros étendit son halo et propulsa Michaël à travers le réseau EL. Un éclair. Une comète d’âme. Le halo de Michaël traversa les cieux, les tempêtes d’Ha Briah, les mondes fleurs de Tiphéreth… jusqu’au Palais d’Argent.