Chapitre 25

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La chambre était plongée dans la pénombre, rythmée par le souffle régulier des machines. Allongée dans un lit-œuf, Marilka sentait son corps de cristal traversé de flux, chacun de ses organes de cristal connecté à un réseau médical plus vaste qu’elle-même. Les diodes scintillaient sur ses bras, sur sa nuque, sur sa poitrine, et l’inconfort, étrange, la maintenait à la lisière du sommeil.

Ses souvenirs défilaient, captés, effleurés, puis arrachés par les sondes. Elle sentait les machines aspirer ses pensées, enregistrer des éclats d’émotions, des images tronquées : l’ombre d’un regard, le choc d’un secret. Pourtant, rien n’y faisait : la mémoire, saturée de douleurs et d’angoisse, se recomposait à chaque instant. Et au centre de cette boucle sans fin, la vérité, telle une tache noire impossible à dissoudre.

Kokab avait planté dans le cœur de Marilka ce secret interdit : l’âge d’or, toutes ces azohim dehors, libres. Puis la Seconde Brisure, la guerre civile provoquée par un crime abominable, perpétré par les primordieux els-mêmes.

Marilka savait que si les machines réussissaient à effacer ce souvenir, elles effaceraient aussi ce qu’elle était, jusqu’à la moindre particule de sa conscience. Elle vivait désormais avec la peur de la disparition, du grand effacement qu’exigerait la préservation du Mensonge.

La porte s’ouvrit sans bruit, livrant passage à la matriarche Perséphonia. Sa silhouette majestueuse imposait le silence. Son visage ne trahissait aucune émotion. Perséphonia ne prit pas la peine d’énumérer les fautes de Marilka. Sa voix était posée, froide, presque lasse :

— Marilka, je viens t’informer que tu seras destituée de ton rang d’épouse principale de Michaël. Les décisions sont prises.

Marilka sentit la colère et la panique monter en elle. Elle secoua la tête, refusa d’accepter l’annonce.

— Michaël ne fera jamais ça… El m’aime, el ne me rejettera pas.

La matriarche la fixa sans ciller.

— Je sais ce que tu as fait avec Asmodée. Tu as trahi la confiance de ton époux. Bientôt, Michaël découvrira ton vrai visage.

Marilka baissa les yeux, un sourire las aux lèvres. Sa liaison avec Asmodée : bien sûr qu’elle avait été découverte, les machines ayant sondé chaque recoin de son esprit. Un frisson d’humiliation la traversa.

— Je voulais juste… un enfant, murmura-t-elle.

— Je n’attendais pas de toi que tu sois aussi naïve, répondit Perséphonia, tranchante. Je pensais que tu comprendrais mieux les enjeux.

Marilka, la voix tremblante, osa :

— Est-ce que tu sais… ce qu’il s’est vraiment passé lors de la Seconde Brisure ? Ce que Kokab m’a montré ?

Perséphonia fronça les sourcils, déstabilisée. Marilka chercha à parler, mais ses lèvres se crispèrent, refusant de former les mots. Sa bouche s’ouvrait, mais aucun son n’en sortait. La panique l’envahit, mêlée d’une rage impuissante.

Perséphonia l’observa, pensive, puis haussa les épaules.

— Ton esprit n’est pas guéri. Tu es encore trop perturbée pour affronter la réalité.

Elle s’approcha du lit, la voix douce, presque maternelle.

— Après la période de deuil, Michaël sera mis au courant de tout. Tu es libre d’utiliser le temps qui te reste comme bon te semble, même si tu es confinée ici. Je t’encourage à avouer tes fautes à Michaël et à implorer sa clémence. C’est ton seul espoir.

Marilka détourna le visage, la voix brisée.

— Cela ne servira à rien. Je sais ce qui m’attend… La mort. Rien d’autre.

Perséphonia resta silencieuse quelques secondes, puis quitta la chambre sans un mot.

Restée seule, Marilka sentit la peur monter comme une marée noire, mais au cœur de cette peur brûlait une résolution neuve. Même brisée, même condamnée, elle porterait la vérité, fût-ce au prix de sa propre existence.

Le grand vaisseau de transport glissait silencieusement à l’intérieur d’Olympus, naviguant dans les cavernes volcaniques du palais. À son bord, Prométhée voyageait en famille : les épouses de Michaël et leur ribambelle d’enfants, tous rassemblés pour la visite rituelle au gynécée royal. C’était devenu un trajet quotidien : les épouses-azohim de Michaël se rendaient avec leur progéniture au harem royal pour rencontrer leurs consœurs, offrant aussi aux enfants l’occasion de jouer avec d’autres petits élohim issus de lignées prestigieuses.

En cinq ans, Michaël avait déjà engendré dix enfants, tous issus de ses épouses, sauf Marilka. Cette dernière était toujours en convalescence au gynécée. Ces dix enfants, de petites vertus à la lignée éclatante, étaient voués à une destinée thaumaturgique hors du commun. Mais pour l’instant, els n’étaient qu’une nuée de jeunes enfants, rieurs, bondissants, inconscients du poids de leur ascendance. Michaël, leur enseignait l’art des vertus, mais restait autrement distant : absorbé par les responsabilités et les intrigues de son règne. Prométhée comprenait. Ces enfants n’appartenaient déjà plus à leur père : els étaient une richesse du royaume, des héritiers destinés à alimenter la puissance de Guebourah, la part remplie d’un contrat.

À l’arrivée du vaisseau, la rampe d’accès s’abaissa dans le vaste hall du gynécée royal. La grande famille Michaelis débarqua, admirée par tous les êtres présents. Les duchesses des Labyrinthes portaient leurs ornements les plus raffinés : diadèmes de gemmes, voiles d’or pâle, ornements délicats qui soulignaient leur statut. Le cortège fut accueilli avec déférence par les gardiens séraphins du gynécée, dont l’aura brûlait d’une intensité contenue.

Les salons du harem s’emplirent de rires, de musique, de parfums sucrés. Les épouses retrouvèrent leurs consœurs de toutes les familles d’archanges : c’était l’heure du thé, du partage d’ambroisie, des dernières nouvelles et rumeurs du royaume. De jeunes principautés, surveillées par les gardiens, animaient la pièce d’airs subtils, grattant des luths de cristal, soufflant dans des flûtes d’argent. Pour les azohim, manger et s’amuser étaient de véritables arts de vivre, tout un cérémonial destiné à rendre le temps moins lourd.

Rapidement, les enfants furent confiés à des demoiselles du gynécée, qui les entraînèrent dans les jardins d’hiver pour jouer à l’écart. Les discussions des adultes, elles, se faisaient feutrées mais vives. L’arrivée du Métatron à Madim, événement sans précédent, alimentait toutes les conversations : qu’allait-el faire ? Comment était-el ? Dirigerait-el le partzuf ? Les épouses de Michaël, avec fierté, rappelaient que c’était leur époux, épaulé par Phosphoros, qui guiderait Abba, affirmation qui faisait jaser bien des jalouses.

Prométhée, qui n’avait que peu de goût pour ces bavardages, profita de la distraction générale pour s’éclipser chez les demoiselles. Celles-ci, ravies, se pressèrent autour d’el. Avec ses traits fins, ses grands yeux d’améthyste et ses cheveux de jais, Prométhée ressemblait plus à une jeune azoha qu’à un chérubin, et les demoiselles s’en amusaient sans malice. Elles adoraient le déguiser, choisir des tuniques, coiffer ses boucles, maquiller son visage de nacre et de lumière. Prométhée se laissa faire, rieur, se laissant transformer en véritable princesse du gynécée.

Fièrement, les demoiselles menèrent Prométhée dans les salons voisins pour le montrer à leurs amies. C’est alors que la troupe croisa une autre scène : Asmodée, entouré d’azohim adultes, occupé à graver des tatouages géométriques dans la chair cristalline de leurs bras et de leurs nuques. Le chérubin avait l’air extatique, son regard dans le vague, indifférent au tumulte autour d’el Les azohim chuchotaient, riaient, éblouies par les objets insolites, sphères camouflées, bagues cryptées, qu’Asmodée apportait à chacune de ses visites.

Prométhée, levant les yeux au ciel, s’approcha.

— Pervers, marmonna-t-el à l’adresse d’Asmodée.

Ce dernier lui adressa un doigt d’honneur d’une élégance rare, sans même s’interrompre.

Profitant de la confusion, Prométhée glissa hors de la pièce, gagnant un petit boudoir, refuge feutré où s’isoler du vacarme du gynécée. Face à un miroir, el admira sa nouvelle apparence : une magnifique azoha, trop parfaite pour être tout à fait honnête. Un léger sourire effleura ses lèvres.

Prométhée posa la main sur la surface polie.

— Israfel, murmura-t-el. Réveille-toi.

Aucune réponse. Un silence lourd, vibrant, s’étira. Prométhée ferma les yeux, laissa monter en el le chant du Chanteur Merveille, Israfel. El connaissait son nom. Son Père, le Grand Architecte, ne s’était pas privé de le citer en sa présence, bafouant le secret. La voix de Prométhée, pure, vibrante, monta dans la pièce. Et après de longues minutes, une réponse familière, mais flottante, confuse, résonna.

♀ — Nogah ? Où es-tu… Nogah ?

Prométhée rouvrit les yeux, amusé, un rien agacé.

— Non, Israfel, c’est moi, Prométhée. Réveille-toi, je veux te parler.

♀ — Hein ? Prométhée ?

— Dis-moi : qu’est-il arrivé lors de la Seconde Brisure ? Raconte-moi la vérité.

Mais Israfel semblait perdu, comme au sortir d’un rêve.

♀ — Je… Je ne comprends pas. Où suis-je ? Nogah, es-tu là ?

Prométhée soupira.

— Israfel ! Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ?

À cet instant, une silhouette pâle se refléta dans le miroir. Prométhée sursauta, se retourna : Marilka était là, debout sur le seuil, l’air hanté, les yeux cernés d’ombre.

— Tu ne devrais pas faire ça devant un miroir, murmura-t-elle d’une voix étranglée. Monsieur S peut te voir.

Le malaise flotta un instant, pesant. Prométhée, déstabilisé, lança un drap sur le miroir. Puis el fit s’asseoir Marilka sur le canapé du boudoir.

— Tu… tu viens de te réveiller ? Comment tu te sens ? Tu es si pâle.

Marilka ferma les yeux, cherchant son souffle, puis détourna la tête. Prométhée s’assit près d’elle, inquiet.

— Dis-moi ce qu’il s’est passé avec Abba. Tu m’as mentit. Je t’ai aidé innocemment, en pensant que tu voulais juste le voir. Mais en vérité, tu mijotais quelque chose.

Mais Marilka secoua la tête, refusant de répondre. Le silence s’étira. Prométhée baissa la voix :

— Dis-moi la vérité. Je sais que tu as communié avec Kokab. Je suis sûr qu’elle t’as révélé quelque chose d’important, de grave, sur son passé. Ça a un rapport avec les partzufim, n’est-ce pas ?

Marilka ouvrit les yeux, la voix lasse.

— Tu es sacrément malin… Mais moins tu en sais, Prométhée, mieux tu te porteras.

Mais Prométhée insista, posant la main sur la sienne.

— Je veux savoir. Je veux comprendre. Sinon je pourrai pas t’aider.

Un long silence. Finalement, Marilka murmura :

— Je te dirai tout… mais seulement si tu m’aides à rencontrer le Métatron.

— Hein ?!

— Je dois lui parler.

— Pourquoi ?! demanda Prométhée.

— El seul peut me comprendre, et me sortir de là. Perséphonia est venue me voir. Mon mariage avec Michael va être dissout. J’ai perdu ma dernière protection. Je suis finie.

— Marilka ! interpella Prométhée. Tu dis n’importe quoi. Parle simplement à Michaël. El t’aime. El te pardonnera. Et el se fiche de ce que pensent les autres. Je témoignerai en ta faveur !

Marilka secoua la tête.

— Phosphoros écoute tout. Je ne peux rien dire à Michaël. Il faut que je parte d’ici.

— Pour aller où ?!

— Chez le Métatron, à Kether. El seul peut me protéger.

— Te protéger de quoi ?

— Els vont effacer mes souvenirs, expliqua Marilka. Or, ces souvenirs sont implantés dans mon noyau. Donc si els les effacent…

Prométhée se prit la tête entre les mains.

— Par EL, mais qu’est-ce que Kokab t’a montré ?

— Mes lèvres sont scellées, révéla Marilka dans un sanglot.

Prométhée étudia l’expression de Marilka. Les mots semblaient en effet s’échouer sur ses lèvres, incapables d’en surgir pour révéler la vérité. Était-ce une protection ? Un sort jeté par Kokab ? L’azoha millénaire avait confié son secret à Marilka sans pour autant vouloir le partager au-delà…

— Je t’en supplie Prométhée, aide-moi. C’est une question de vie ou de mort !

— Comment veux-tu que je te fasse rencontrer le Métatron ? Je le connais pas hein !

— Tu m’as exfiltré du Sanctuaire pour voir Abba. Je suis sûre que tu peux trouver un moyen de lui faire passer un message au moins. El va venir à Olympus, c’est certain. Ça sera l’occasion parfaite.

Prométhée soupira.

— Je vais pas le rencontrer moi. Seul Michael et les autres grands archanges du royaume seront en sa présence directe. Il y aura des célébrations certes mais… Avec du public… Enfin… mmh…

L’esprit affûté de Prométhée se mit en marche. Et bien vite, une idée émergea.

Le ciel de Guebourah, l’Astarté, était d’un bleu profond, presque minéral, zébré de brumes pourpres et d’orages lointains. Les crêtes du volcan Olympus luisaient dans l’aube, et tout autour du célestoport, l’assemblée se pressait en silence. Archanges-ducs et grands nobl’ailes : toute la hiérarchie du royaume s’était rassemblée.

Soudain, l’horizon, à l’est, se fissura. Un point d’ombre, infime d’abord, grandit, avalant la lumière. On entendit d’abord un grondement, un bourdonnement qui vibra dans les corps avant de se faire entendre par les oreilles : la résonance grave d’un moteur hors du temps. Dans le bleu, une masse apparut, aussi vaste qu’une lune, mais noire, tachée de runes oranges, irradiant des filaments d’éclairs dorés. Le vaisseau du Métatron, astre de jais en fusion, fendit l’Astarté sans ralentir, projetant derrière lui une traînée de feu.

L’ombre tomba sur le célestoport comme une éclipse. Un froid surnaturel descendit, si dense qu’il semblait figer la foule en statues de sel. Les ailes des archanges se replièrent, les halos pâlirent. Même Sparda, massif, n’osa souffler mot. Michaël sentit, tout autour d’el, le murmure de la crainte, la stupeur, l’attente. Dans le silence, les puissances serraient leurs armes.

Le vaisseau sphérique s’amarra dans un fracas de tonnerre. Les plateformes de cristal s’ouvrirent, libérant un nuage de vapeur irisée. De la carapace noire, une rampe descendit, luisant d’un éclat doré. Les premiers séraphins parurent, corps longs, écaillés, yeux d’ambre fendus, avançant à pas lents, synchrones, comme dans une chorégraphie funèbre. Chacun portait le Feu Sacré dans son halo.

Puis, dans un souffle, le Métatron el-même apparut. Un titan, drapé de flammes, haut de six mètres, ses six ailes déployées en une arche de ténèbres et d’or. Le trident levé, el descendit la rampe sans un mot. Ses yeux, fendus, ruisselaient d’or liquide, impassibles. À chaque pas, le sol vibrait, la lumière se pliait autour de sa silhouette. Sa voix, une seule note d’air, fit reculer la brume.

Dans la foule, nul ne bougea. Les archanges baissèrent la tête. Autour du titan, les séraphins se déployèrent en cercle, posant un genou à terre, têtes inclinées. La lumière, alors, sembla revenir, colorant les visages de l’assemblée d’une révérence mêlée d’effroi. Le Métatron s’arrêta en bas de la rampe. Un silence de cathédrale tomba. El leva son trident, marqua une pause, puis avança d’un pas majestueux vers l’assemblée pétrifiée.

À la vue du Métatron, Michaël sentit un frisson courir le long de son échine. Phosphoros, en el, bouillonnait. Dans le rayonnement du Métatron, Michaël crut reconnaître son alter ego : Burrhus, ennemi intime, celui qui l’avait traqué jadis à Hod et Tiphéreth. Les souvenirs affluaient, lourds de sang et de rancune.

La plupart des élohim ignoraient tout du passé du Métatron. Son vrai nom était perdu dans les brumes du temps. Son règne, en revanche, était légende. Durant la Seconde Brisure, el avait mené la défense de la Couronne de Kether. El avait tenu tête à l’abîme pour garder éveillée l’âme d’EL. Depuis, el régnait sur les trois royaumes supérieurs, cumulant les titres d’archange-roi, de chef suprême de l’Ecclésia, de maître de l’Institut des chérubins à Chokmah et du Berceau à Binah. Même Euthanatos, le concepteur des partzufim, se trouvait sous sa tutelle : une situation insupportable pour Phosphoros, qui grondait intérieurement.

Michaël, tout en gardant un visage neutre, s’interrogeait. Comment un prêtre d’EL, héritier du Porteur de Lumière, pouvait-el s’opposer au retour du primordieu ? Phosphoros lui souffla la réponse : la corruption démoniaque. Oui, affirmait-el, les démons avaient bel et bien la capacité d’empoisonner les esprits des élohim, de détourner même les plus purs du Grand Dessein. Michaël frémit, partagé entre incrédulité et peur.

Mais l’heure n’était pas aux questions. La cérémonie exigeait une dignité parfaite. Michaël et le Métatron échangèrent un long regard. Michael y lut un dessein insondable, une résolve absolue. Sparda, à l’instinct, se rapprocha de Michaël, prêt à intervenir au moindre signe de trouble.

La procession s’ébranla alors. le Métatron et sa suite serpentèrent à travers les tunnels de cristal d’Olympus. La lumière de leur Feu Sacré oscillait sur les parois volcaniques, dessinant des ombres démesurées. On accompagna le Métatron jusqu’au cœur du volcan-sanctuaire. Dans la salle du trône, Camaël attendait, dans son armure rouge royale, entouré de la cour d’élite de Guebourah. L’accueil fut solennel : hymnes, présentation des insignes de la Milice et du Clergé.

Des festivités s’ensuivirent dans le cratère-arène, véritable cathédrale de lave et de lumière. Ce n’était pas une simple célébration : c’était une démonstration de force, un rite d’intimidation où Guebourah affichait sa puissance. Des bataillons défilèrent en armes, des duels de combattants illustres furent menés avec éclat. Michaël, absent, peinait à accorder le moindre intérêt à la parade : son attention ne quittait jamais le Métatron, dont la seule présence semblait absorber la lumière du volcan.

Et pourtant, le Métatron déjouait les attentes : sous la carapace imposante, el se montrait d’une jovialité fracassante, riant à gorge déployée avec les puissances de Guebourah, racontant anecdotes et sermons dans une voix de stentor. Sa prestance, à la fois charismatique et terrifiante, magnétisait l’assemblée. Michaël l’observait, cherchant le moindre indice de duplicité, mais rien dans l’attitude du Métatron n’évoquait la souillure des démons.

À la suite des cérémonies, le cortège gagna le palais de Camaël. Dans le puits central d’Olympus, le Métatron bénit le rayon d’âmes qui descendait au cœur du sanctuaire, encadrant d’un geste auguste le flux d’êtres destiné à la prochaine incarnation. Vint ensuite l’entretien privé avec Camaël, puis la cour s’assembla pour un dîner diplomatique dans une grande caverne richement décorée. La salle était écrasante, les murs incrustés d’œuvres brutalistes. Sur une scène, des principautés-artistes jouaient une musique métalique, tandis que les plats se succédaient, alliant l’ambroisie aux saveurs volcaniques de Guebourah. Michaël, assis à la table d’honneur, ne touchait pas à son assiette, trop absorbé par la présence du Métatron, qui, de son côté, se montrait parfaitement à l’aise, distribuant compliments et conseils à qui voulait l’entendre.

Le point d’orgue du dîner arriva lorsque les épouses et matriarches de Guebourah firent leur entrée, majestueuses, précédées de leurs suivantes et enfants. Leur rôle était central : elles incarnaient la fertilité du royaume, sa capacité à se renouveler, à fournir des générations entières de troupes. Autour de la table, les matriarches conversaient avec les séraphins du Métatron, promettant que, en échange du prêt d’Abba, leurs descendances viendraient renforcer Kether.

Le Métatron accueillit ces promesses avec un sourire amusé. Les royaumes supérieurs, dotés de trois partzufim pour trois royaumes, n’avaient en réalité nul besoin du soutien des royaumes inférieurs, moins favorisés et constamment en lutte pour leur survie. La véritable solution, pensait Michaël, serait la création de nouveaux partzufim, mais seul Euthanatos en détenait le secret, et sous le joug du Métatron, rien n’avait jamais été entrepris.

Alors que les discussions diplomatiques se poursuivaient, la scène s’anima : des demoiselles-azohim, d’une beauté surnaturelle, entrèrent en scène pour une danse traditionnelle. Les étoffes chatoyaient, les gestes étaient précis, les sourires gracieux. Parmi elles, la plus radieuse était la jeune Nogah, qui entama un chant merveilleux.

♀ Dans l’écume de l’aube, les mots-noms caressent les contours de la Création.

Un œuf roule sur la rive.

Un enfant dedans, lové dans l’amour

Émerge tenant la main

De son œuf, sa sœur, son épouse

Le monde d’AZ et EL naît

Le sang de Michaël se figea. Cette voix, el la connaissait trop bien : c’était celle d’Israfel, nichée dans Prométhée. Par EL ! L’adolescent s’était déguisé en azoha pour briller sous les projecteurs ! Michaël se prit la tête entre les mains, accablé par la tournure imprévue des festivités.

— Mais qu’est-ce que tu mijotes petit imbécile ? chuchota Michael, à bout.

♂ — Ha ha ha…

Michael se retourna. El aperçut alors Satanachia. La grande domination s’était faite très discrète. Jusqu’alors, Michael ne l’avait pas remarquée.

— Pourquoi ris-tu ? s’indigna le Fitzarch, susceptible.

♂ — Je me moque de ton air surpris, répondit la domination rouge.

Michael se leva, prêt à aller chercher Prométhée par la peau du cou.

♂ — Stop. A ta place je resterais assit.

Michael se retourna, le regard noir.

♂ — Ta réputation est déjà assez abîmée comme ça, nota Satanachia. D’abord Marilka, maintenant Prométhée… Décidément, tu ne sais pas tenir ton nid.

Michael soupira, se rassit.

— Le Métatron va entendre sa voix et découvrir le Chanteur Merveille en el. El va devenir une cible.

♂ — C’est toi la cible.

— El va utiliser Prométhée contre moi. El pourrait le capturer. Le prendre en otage.

♂ — C’est pas faux.

— Et tu as laissé faire ça ?! s’indigna Michael.

♂ — Si ça peut pousser monsieur Phosphoros à se bouger un peu…

Michael soupira.

— Tisseur de mensonges, marmonna Phosphoros.

♂ — Ah ! Te voilà !

— Il faut faire quelque chose, pressa Michael. Prométhée est en danger.

A quelques mètres de là, le Métatron ne semblait pas perturbé, ni surpris. El observait les azohim sans grand intérêt.

— Tu penses qu’el a cramé ? demanda Michael.

— Oui. C’est trop tard, affirma Phosphoros. Il faut mettre Prométhée en sécurité au plus vite. Et loin de tout membre de l’Ecclésia. L’idéal serait de le ramener au Palais d’Argent.

Michael se leva sans attendre, bien qu’el se força à garder une expression neutre. Se plaçant dans les coulisses, el attendit la fin de la représentation, puis attrapa Prométhée par l’oreille.

— Aie ! Aie ! Aieuuh ! geignit l’adolescent.

Michael le traîna dans les loges, s’attirant les regards médusés des jeunes azohim autour. Peu importa.

— Dis-moi Prométhée, tu as envie de revoir ta maman et ton papa ?

— Hein ?

— Ça tombe bien, tu as gagné un aller simple pour le Palais d’Argent.

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